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Promenons nous dans les bois, pendant que l'Andra n'y est pas

  • Photo du rédacteur: Arielle Bossuyt
    Arielle Bossuyt
  • 18 juin 2018
  • 5 min de lecture

Dernière mise à jour : 1 sept. 2018

En 2016, l'Andra commence à défricher le bois Lejuc, sous lequel sera enterrée une partie des déchets nucléaires du projet Cigéo. Pour préserver le bois, les militants ont décidé de l'occuper. Avant l'expulsion en février dernier, je les ai rencontrés en taisant mon activité de journaliste.




Quatre heures du matin. Au bois Lejuc, à deux pas de Bure, le froid de l'Est se fait ressentir mais n'a pas raison des occupants, fidèles à leur poste dans leurs abris de fortune. Dans la Communale, une cabane construite au centre du bois, près de la « vigi sud » (poste de contrôle), sous d'épaisses couvertures, les militants et moi commençons à nous habituer à ces températures difficiles. Tom, lui, s'active, propose de quoi se réchauffer sous forme de liquide et quelques tranches de saucisson à se mettre sous la dent. Et tandis que le jeune homme partage ce qu'il avait soigneusement conservé dans son « garde-manger », la conversation s'ouvre comme notre appétit.

À la lueur du feu de bois, les souvenirs s'animent. Tom, le petit blond au sourire enfantin troque sa mine joviale pour un air plus sérieux. Dans la nuit tranquille, il se remémore ce jour agité, le 15 août 2017. Tom, retrace le récit de cette manifestation qui a mal tourné : Robin, un pote de Dijon, a failli perdre l'usage de son pied. C'était sa première fois à Bure.







"Je prévenais qu'ils avaient sortis les grenades. Et puis j'ai vu des éclats de chair "

Pour lui, cette journée du 15 août avait pourtant bien commencé. « On avait manifesté devant le site de l'Andra (à moins de deux kilomètres de Bure). Il y avait plein de gens, ça faisait plaisir à voir ! ». Environ 300 personnes s'étaient retrouvées à Bure pour renforcer les rangs des militants. Mais ça a vite dégénéré. « Des fumigènes étaient lancés dans les enclos alors qu'il y avait des animaux. Ça a fait peur aux habitants. Alors, j'ai essayé de les enlever. Ils n'ont rien à voir avec ça », affirme le jeune homme. Puis, la manifestation, qui se voulait pacifiste, dégénère. « Je me souviendrai toujours de cette première grenade (assourdissante), lancée dans notre direction. Je criais pour que tout le monde s'écarte, je prévenais qu'ils avaient sorti les grenades ! Et puis j'ai vu des éclats de chair, des grenades lancées sur les pieds des copains. J'entendais les cris et j'ai vu le pied de mon pote de Dijon : un énorme trou! » La manifestation tourne à la panique générale. Le dijonnais est conduit à l'hôpital par « les copains ». Et à la sortie, les gendarmes étaient sur le qui-vive, raconte le militant. « Ils ont suivi les manifestants jusqu'à l'hôpital ! » s'exclame Tom, avec un sourire sarcastique


Il manque du monde dans le bois


La journée ne s'est pas passée comme prévue. Pourtant, elle a marqué la mobilisation contre le projet Cigéo par son ampleur : rares sont ces moments où les opposants se font si nombreux. Il faut dire que les chaudes journées d’août sont propices au camping à la belle étoile. En novembre, dans le bois, les militants ne sont seulement qu'une vingtaine. Dans la vigi-sud, plus exposée car près de la route, ils sont à peine une dizaine. Parfois, ils tombent à trois. « Dès l’automne, on a du mal à trouver du monde pour occuper le bois. Tout le monde reste au chaud dans la maison. Il faudrait au moins 10 personnes de plus, ne serait-ce que dans la Vigi-Sud », explique Goret, au court de la soirée. Justement, cette nuit-là, il était de garde, dans la petite tour en bois, recouverte de palettes, de bâches et de pneus : les principaux matériaux utilisés pour faire les abris. « Il nous faut plus de monde pour créer de vraies cabanes, bien isolées et comme ça, ce sera plus confortable et on attirera plus de monde », poursuit Goret.


En attendant, le lendemain matin, nous sommes quatre à prendre le petit déjeuner. Sous une bâche en plastique, nous dégustons un riz aux épices refroidi, cuisiné dans la maison de la résistance. Après cet encas, Tom décide de nous faire visiter le bois. Au sol, les marques des tentes installées cet été persistent. « En août, il y avait 200 tentes ici », raconte Tom. Sur le chemin, l’ancien mur construit par l’Andra, pour repousser les manifestants lors de son défrichement illégal, n’a pas fait long feu et a été abattu, en août 2016. Des pans du mur gisent sur les feuilles mortes, aux quatre coins du bois et nous montrent la voie vers la vigi sud-est.





Là-bas, une militante, Orage prépare son repas. Elle ne me connait pas mais me propose déjà un café, qu'elle réchauffe avec son poêle. Avec peu de chose, elle a aménagé de petites étagères pour les épices, les boites de conserve... de quoi cuisiner. Pantalon pâte d’eph, bonnet vissé sur la tête et gros gilet, Orage semble habituée au froid et troque avec plaisir son confort pour mener une existence simple, frugale et surtout libre. Comme une héritière de Thoreau et de sa vie dans les bois. « On a besoin de peu de choses au final. Je suis complètement indépendante. C’est ça aussi, la lutte », raconte-t-elle. Le nucléaire ? Ce n’est qu’une partie du problème pour elle. Ce qui l’a poussé à occuper le bois, c’est son combat contre la société actuelle, qui prône l’individualisme et la surconsommation selon elle. À Bure, elle revient à l’essentiel.


"Je suis venu pour une nuit et j'y suis resté"

Si certains ne sont que de passage dans les bois, d’autres restent, trouvent une façon de vivre qui leur correspond et un terreau fertile pour faire grandir leurs convictions. Tom est arrivé ici par hasard, pour quelques jours et commence à y prendre racines. « Avec des amis, nous avions quitté Paris à vélo pour rejoindre une rencontre de vélos à Bruxelles. Nous avions entendu parler de ce qui se passe à Bure sans trop s'y intéresser. On a décidé de s'y arrêter pour une nuit. Au final, on est resté trois jours. Je suis revenu. Et je suis resté. On se sent tout de suite accepté. On mène une vie simple ». Pour le jeune occupant, quelque peu timide, mais aussi pour les autres, vivre dans cette société parallèle c'est vivre librement, être soi-même. Certains y voient même une façon de se reconnecter avec la nature. Des cueillettes sont souvent organisées par une militante, ancienne étudiante en médecine, pour s'approvisionner en plantes des bois, bénéfiques pour la santé : pimprenelles, orties, etc. Pour se nourrir, les militants récupèrent des fruits et légumes des producteurs locaux, sensibles à leur cause. Vivre dans les bois est rude et pourtant. Les traits tirés, les militants semblent pourtant ravis et fiers de leur mode de vie. De leur combat qui les anime. "On a l'impression de former une communauté. On s'entraide", raconte Orage. Une communauté pourtant fragile.



 


Quelques mois plus tard, le 22 février, au petit matin, près de 500 gendarmes s’infiltrent dans le bois pour expulser une quinzaine de militants. « On n’a rien pu faire. Ils m’ont attrapé dans ma tente. Ils étaient trop nombreux. D’autres ont eu le temps de mettre le feu à leur abri, pour effacer les preuves : on était dans l’illégalité », explique Goret. Le bois Lejuc était devenu, pour beaucoup, une nouvelle maison. Après l'expulsion, tous les militants ont été rapatriés dans la Maison de la résistance. Deux semaine plus tard, ils organisent une action pour reprendre le bois. La veille, l'émotion se fait ressentir. Dans les rangs, des personnes venues de toute la France se sont joints aux militants. Au petit matin, le groupe part à la reconquête du bois.






 
 
 

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