"Les risques sont présents mais gérables"
- Arielle Bossuyt
- 29 août 2018
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 1 sept. 2018
Ancien ingénieur-physicien dans la sûreté nucléaire (d’abord pour le commissariat aux énergies alternatives puis à l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire), Michel Cranga avoue travailler pour ses petits-enfants. Désormais à la retraite, il continue de réfléchir à notre consommation énergétique. Il étudie les possibilités qu'offrent les énergies renouvelables pour produire moins de CO2 mais aussi pour remplacer le nucléaire, qui reste toutefois, pour lui, l'énergie la plus propre. Avant tout, Michel Cranga prône la sobriété. Il sillonne la France pour donner des conférences et remettre en question notre consommation énergétique.

Vous avez travaillé dans la sûreté nucléaire. Quelles étaient vos missions ?
J’ai travaillé pendant 13 ans comme expert à l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire. Je menais les enquêtes de contrôles demandées par l’institut. J’intervenais dans les suivis des travaux, je posais les questions lorsque des risques ou des défauts étaient signalés. J’ai notamment travaillé sur l’épaississement du radié de Fessenheim et j’étais en charge d’intervenir à Fukushima, lors de la catastrophe nucléaire. Mon travail, je l’effectuais en restant parfaitement indépendant des lobbys qu’ils soient écologistes ou nucléaires. J’ai aussi étudié le stockage des déchets radioactifs.
Que pensez-vous du projet Cigéo, à Bure ? L’enfouissement des déchets est-elle la seule solution ?
Pour l’instant, c’est la solution la plus sûre qu’on ait trouvé. Il y a des études réalisées sur la transmutation qui permettrait la décroissance des déchets radioactifs. Mais pour l’instant, ça ne fonctionne pas. Il faut préciser que les déchets les plus dangereux, les plus hautement radioactifs, qui seront stockés à Bure, ne représentent qu'un volume très limité. C’est l’équivalent de deux piscines olympiques. Concernant, l’implantation, le projet Cigéo se fera en Meuse car le sol est adéquat. En effet, les déchets doivent être enfouis dans une couche géologique restée sèche pendant des millions d’années pour éviter tout risque d’inondation. Ils doivent être également à l’abri des intrusions, notamment terroristes. Actuellement, les déchets sont stockés à l’extérieur, près des centrales, ce qui n’est pas très sûr.
Mais enfouir les déchets, est-ce plus sûr ?
Oui, même si le stockage n’est pas encore résolu de A à Z. Le seul problème est qu’il faut gérer le risque d’incendie, révélé par l’ASN. En effet, la radioactivité dégage de la chaleur, pendant les premières dizaines d’années. Des risques qui s’accroissent en fonction de la nature du colis. Pour contenir la radioactivité des déchets, on avait l’habitude de les enrober dans du bitume. Or, on a découvert que ça pouvait être très inflammable. (Note : les colis bitumineux représentent 18% des colis qui seront stockés par Cigéo). https://www.lemoniteur.fr/article/dechets-radioactifs-l-asn-demande-des-garanties-sur-les-dechets-bitumineux.1944459). Mais pour éviter ce risque d’incendie, il faut bien refroidir les déchets dans les piscines, les surveiller pendant les prochaines décennies et ne pas les enfouir trop tôt. De toute façon, d’ici 20 ans, il n’y aura encore aucun colis et le stockage sera réversible pendant un siècle. Ce qui nous laisse du temps.
Comprenez-vous la colère des militants et de certains habitants ?
Je peux la comprendre. Personne n’aimerait avoir des déchets radioactifs enterrés sous ses pieds. Mais le problème est qu’on a déjà accumulé la moitié des déchets que les réacteurs peuvent produire. Il faut trouver une solution viable. Et l’enfouissement est plus sûr. Si les déchets sont bien conditionnés, il n’y a aucun risque. Dans un siècle, quand ils seront définitivement enfouis à 500 mètres sous terre, ils seront nettement moins dangereux. Les militants réfléchissent au problème de gestion dans 5 000 ans, et se demandent ce que feront les générations futures si elles découvrent les déchets. Mais franchement, pourquoi se préoccuper de ce qu’il se passera dans des milliers d’années alors que nous faisons actuellement face à un réchauffement climatique qui pourrait déstabiliser la planète dans moins d’un siècle et causer la mort de millions de personnes? Le vrai problème est là, selon moi. Les risques sont présents mais ils sont gérables. En ce moment, on fait peur à la population et on joue sur l’ignorance des gens. Les militants anti-nucléaire dénoncent l’ancienneté de certains réacteurs mais tout peut être changé sauf la cuve.
Pour éviter les déchets, il faudrait arrêter de produire l’énergie nucléaire, selon les militants. Pensez-vous que cela est possible ?
Pour l’instant, on ne peut pas s’en passer. Notre électricité dépend à 70% de l’énergie nucléaire. Il n’est pas soutenable d’arrêter les réacteurs d’ici 50 ans car nous devons d’abord développer d’autres énergies et surtout, apprendre à vivre plus simplement car nous consommons beaucoup trop pour vivre des énergies renouvelables, qui ne sont pas pilotables. Elles sont produites en fonction de la météo, du soleil, du vent, etc. Par exemple, le photovoltaïque produira quatre fois plus d’énergie pendant l’été. Il faut donc trouver un moyen de la stocker pendant l’hiver. Certes, il faut décroître lentement l’énergie nucléaire mais pour l’instant, c’est la seule source d’énergie non polluante et qui peut répondre à nos besoins. Pour les pays qui le maîtrisent comme la France, le nucléaire est donc une carte à jouer. Si l’Inde ou la Chine construisent des centrales nucléaires, cela ferait beaucoup de bien à la planète, car il faut absolument bannir le charbon, qui est extrêmement polluant. En revanche, le nucléaire n’est pas viable en Afrique. C’est une partie du monde trop instable pour maîtriser la sécurité des centrales nucléaires. Avec la richesse du territoire africain, il faut miser sur le photovoltaïque et l’hydraulique. En fait, il faut produire l’énergie en fonction des atouts de son territoire et non pas céder aux lobbys.
Justement, avez-vous ressenti le poids des lobbys, écologistes ou nucléaires ?
Je vais mettre les pieds dans le plat mais Green peace tire certains de ses revenus de l’éolien et donc s’assure d’en faire sa promotion. Moi aussi je défends l’éolien mais il ne faut pas en mettre n’importe où. Or, certaines sociétés de conseil pour l’énergie éolienne veulent intégrer cette énergie partout. Concernant le nucléaire, nous ne subissons pas de pression des lobbys puisque nous sommes indépendants. Mais lorsque j’ai travaillé au Japon, après la catastrophe de Fukushima, je me suis rendu compte qu’il n’y a pas d’autorité de sureté nucléaire indépendante là-bas. C’est d’ailleurs ce qui a causé, en partie, cette catastrophe. En France, l’ASN peut faire arrêter un réacteur si elle le juge nécessaire. Pour cela, elle s’appuie sur des experts. En revanche, je l’avoue, j’ai des doutes sur des possibles dérives. Des sociétés privées peuvent assurer la maintenance des réacteurs alors qu’elles n’ont pas les compétences, changent d’employés à tout va. Il y a un côté instable qui représente un risque. Mais l’Autorité de sureté nucléaire s’en est rendu compte et on a remédié à ce problème. Il faut toujours être vigilant.
Si l’énergie nucléaire est moins polluante, alors pourquoi l’arrêter ?
Le nucléaire représente quand même des risques, même s’ils sont faibles. Aujourd’hui, il y a 457 réacteurs dans le monde. Si on voulait produire la majeure partie de l’énergie avec du nucléaire, 5 à 10 000 réacteurs seraient nécessaires, ce qui engendrerait plus de risques et, surtout, nous n’aurions pas assez d’uranium. Sans parler des déchets…
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