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A Bure, le ciel n'est pas bleu azur mais bleu gendarme

  • Photo du rédacteur: Arielle Bossuyt
    Arielle Bossuyt
  • 18 juin 2018
  • 4 min de lecture

Dernière mise à jour : 1 sept. 2018

La présence des forces de l'ordre fait partie du quotidien des habitants du petit village entre contrôles d'identité, rondes et perquisitions parfois.



Reposant dans son lit de verdure, entre vallées et collines, la Meuse semble paisible. Si quelques villes ont été érigées sur son territoire, la plus grande, Verdun, compte 18 000 habitants, la campagne n’est jamais très loin. En quittant Bar-le-duc, ville préfecture, la présence humaine devient très limitée, clairsemée à travers de petites communes. Un endroit idéal pour se couper du monde à condition de ne pas avoir peur du vent de l'Est glacial. Au volant de ma voiture, je jette des regards furtifs à travers la fenêtre. Si les villages défilent, le ciel gris, lui, reste fidèle à ma course. Les habitants, eux, se font rares. A croire qu’il ne se passe jamais rien ici. Puis, mon regard se pose sur une Jeep, passant devant moi. Elle est rapidement rejointe par une deuxième. Je traverse alors de vastes champs avant d’apercevoir un bâtiment au loin, marqué du nom de l’Andra, agence nationale de gestion des déchets radioactifs.


C’est dans ces locaux qu’est conçu le projet Cigéo, ou l’enfouissement des déchets nucléaires dans le département de la Meuse, à proximité de la commune de Bure. C’est toujours dans ces locaux, que j’aperçois d’autres Jeep sortir et s’élancer sur les routes de campagnes. Implantée dans le petit village de 80 habitants, depuis 2000, l’agence semble faire débat parmi le voisinage. En arrivant à Bure, sur les panneaux de circulation, le nom de l'Andra est taché d'éclaboussures de peintures multicolores et des inscriptions telles que « Stop Bure », « L'Andra tue », «Chaussée radioactive » me suivent tout au long de la route. Une nouvelle arrivante qui ne s’est pas vraiment fait d’amis.



"Trop vieux pour s’opposer"

Au pied des laboratoires de l’Andra, un agriculteur laboure son champ. Et lui, que pense-t-il de son voisin, le projet Cigéo ? Pour le savoir, je m’arrête sur le bord de la route et salue l’agriculteur. Perplexe, il ralentit toutefois. Sort de son tracteur. Le quadragénaire semble un peu interloqué. En pleine campagne, qui peut bien l'interrompre dans son labeur ? Toutefois, il me sourit… même quand j'évoque l'Andra, dont les bâtiments érigés au loin, semblent se faire témoins de notre conversation. « J’en entends parler depuis la fin des années 80, lorsque j’ai commencé à travailler en tant qu’agriculteur. Mais personne n’avait rien fait jusque-là. On ne nous a pas vraiment expliqué la nature de ce projet alors on n’a pas bougé. Maintenant que ça se concrétise, les habitants du village sont trop vieux pour s’opposer. Les militants viennent d’ailleurs, des quatre coins de la France et sont presque les seuls à défendre le village », raconte l’exploitant agricole.

Comme ses collègues, il a vu ses portions de terre réduire pour laisser la place au projet Cigéo. En attendant, l’Andra en propose d’autres… mais plus loin. L'agriculteur, un peu frileux, a évidemment le droit de penser ce qu’il veut mais évite de le dire trop fort. « Je ne vous dis pas que je suis contre ce projet. Mais heureusement qu’il y a une opposition ».



Des rondes toutes les 20 minutes


Puis, il montre du doigt un chemin de terre, sur lequel est garée une Jeep. Elle se fait discrète. « Là-bas, c'est un véhicule du Psig (peloton de surveillance et d'intervention de la gendarmerie) en civil », raconte-t-il. A bord de son tracteur, il ne compte même plus le nombre de véhicules de gendarmerie qui passent sur les routes de campagne tous les jours. « Il y a des rondes presque toutes les 20 minutes », poursuit-il. La conversation n’ira pas plus loin. Sur la route, nous apercevons une première camionnette de gendarmerie. Celle-ci ne part pas faire une ronde... mais s'arrête à notre hauteur. Puis une seconde la rejoint. Suivie d'une troisième et enfin, un dernier véhicule du Psig, cette fois, se joint à la conversation. Je recroise une nouvelle fois le chemin des Jeep qui m’avaient accompagnée à mon arrivée. Nous jetons un regard derrière nous, cherchant ce qui a pu attirer l'attention des quelques gendarmes présents. Sans un mot, les militaires s'approchent de nous, un à un. Nos six interlocuteurs nous regardent d'un air grave et très vite les questions fusent : "Qui êtes-vous?", "Que faites-vous ici?", "Vous vous connaissez?". Les gendarmes nous soupçonnent d'être militants. Plongé dans son silence, l'agriculteur se fait discret. Pas suffisamment puisque les militaires nous demandent nos papiers d'identité. Mais il refuse, malgré l'insistance des gendarmes : "Non, je ne les ai pas sur moi et en plus vous savez très bien qui je suis". Les contrôles d’identité et les rondes sont courants à Bure. Alors, on finit par bien se connaitre… entre voisins.


Les gendarmes recherchent dans leur base de données : l'homme est en effet connu des forces de l'ordre. L’agriculteur finit alors par remonter dans son tracteur et retourne à son travail. Moi, je dois rester avec les gendarmes, qui scrutent mon passeport. Assommée par autant de questions, je finis par leur dire que je suis en reportage sur le projet Cigéo. Ils veulent me rassurer: "Vous savez madame, cette procédure est normale. C'est un site hautement sécurisé". Puis, ils m'accompagnent vers mon véhicule, stationné sur un chemin de terre. L'un d'eux me demande les papiers de la voiture et semble les enregistrer sur leur ordinateur. Le contrôle est terminé. Je peux partir dans un dernier conseil lancé par un des gendarmes: "Si vous allez voir les militants, faites attention à vous. Ils peuvent être violents si vous n'êtes pas d'accord avec eux." L'air est véritablement glacial à Bure et n'est pas près de s'adoucir.


Prochaine étape : la maison de la Résistance pour voir si les militants sont tels qu'on le dit. Mais le premier échange téléphonique avec la coordinatrice n'a pas vraiment porté ses fruits. Cette dernière me défend de rentrer dans la maison car je suis une journaliste. "Nous avons déjà eu des problèmes avec les médias", me raconte-t-elle. La méfiance est de mise même si, la veille, j'ai amené un militant parisien jusqu'à la Maison de la résistance. Sa confiance s'est donc arrêtée là. Forces de l'ordre ou militants, les journalistes semblent avoir du mal à être acceptés. Au vu de cet échange houleux avec la coordinatrice, j'ai décidé de taire mon activité de journaliste et de me fondre parmi les militants, dans la Maison de la résistance puis dans le bois Lejuc. 


 
 
 

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