De maire à militant, il lutte depuis 20 ans
- Arielle Bossuyt
- 18 juin 2018
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 1 sept. 2018
Claude Kaiser, ancien maire de Ménil-la-Horgne, à 40 kilomètres de Bure, s'oppose au projet Cigéo depuis le jour où il en a pris connaissance. Ce combat, qu'il qualifie "de pot de terre contre le pot de fer" ne l'empêchera pas d'aller jusqu'aux portes du gouvernement.

À Commercy, rue Carcano, un local fraîchement repeint est le théâtre des débats animés de la jeune association Là qu’on vive. À l’intérieur, un mur tapissé de photographies de manifestations des années 60 à aujourd’hui donne le ton. Ici, les habitants ont la ferme intention de changer le monde à leur échelle. « Nous sommes partis du constat qu’en Meuse, il y a peu de monde mais qu’il y a toutefois des gens qui se bougent. On avait besoin d’un lieu de vie comme celui-ci pour se retrouver et débattre », explique le fondateur, Claude Kaiser.
Cet ancien élu local a raccroché avec la vie politique mais pas avec ses convictions qui l’ont poussé à créer ce petit laboratoire de la citoyenneté. Ici, on parle de municipalisme libertaire, d’économie, de démocratie mais aussi de sujets sensibles comme le projet Cigéo, le site d’enfouissement de déchets nucléaires, à Bure, à seulement 40 kilomètres de là. Alors, inévitablement, à Là qu’on vive, on ne manque pas d’en discuter. Mais ce débat se fait sous surveillance. Les affiches annonçant les soirées d’information sur le nucléaire et sur le projet Cigéo, placardées sur les vitres du local, ne manquent pas de piquer la curiosité de la gendarmerie. Des véhicules des forces de l’ordre stationnent fréquemment, de l’autre côté de la rue. « Ils pensent que nous sommes une succursale de la Maison de la résistance de Bure… et ils n’ont pas tout à fait tort », plaisante Claude.
Si certains membres de l’association ne souhaitent pas être affiliés aux militants, d’autres sont ouvertement et fermement opposés au projet. Pour Claude, c’est même le combat d’une vie. Un combat qu’il mène depuis le jour où il a appris l’existence du projet Cigéo, dans les journaux. C’était en 1993. « Nous étions sidérés. Même le maire n’était pas au courant. À cette époque, je faisais partie du conseil municipal de Mesnil-la-Horgne et personne ne nous avait consultés. La décision a été prise par les conseillers généraux, du jour au lendemain, sans aucun débat démocratique », se souvient-il.
En 1991, la loi relative à la recherche d’un site pour le stockage des déchets nucléaires, rédigée par le député Christian Bataille, auteur de nombreux ouvrages sur l’énergie nucléaire, est votée. Le plus dur restait à faire : trouver le site adéquat. Dans les années 80, quelques départements comme l’Aube ont été proposés mais la ferme opposition de la population n’a pas laissé l’ombre d’un espoir à l’installation de l’Agence nationale de la gestion des déchets radioactifs. Missionné par l’assemblée générale, le député devait donc partir à la recherche d’un territoire prêt à ‘’accueillir’’ les locaux de l’Andra et les rejets de l’industrie nucléaire. Il s’est retrouvé en Meuse, afin de prospecter auprès des conseillers généraux qui ont voté en une seule fois.
ancienne Militante, une ministre de l'environnement signe le décret d'implantation de l'Andra
Le projet est toutefois fortement contesté et a poussé 3 000 personnes à sortir dans la rue. Une des plus grosses manifestations qu’ait connue la Meuse. Face à cet émoi général, une enquête publique est menée entre 1994 et 1995. « Le projet avait remporté 6 000 avis défavorables et seulement une centaine pour. Cela n’a pas suffi à l’arrêter. Le rouleau compresseur était en marche. Pour rendre le projet plus acceptable, le gouvernement verse des aides considérables aux départements de la Meuse et de la Haute-Marne : 30 millions d'euros par an. C’est la première fois dans l’histoire de France que l’on verse de l’argent avant même qu’il y ait une nuisance. Ils voulaient acheter notre silence. Ça a marché pour certains… mais pas pour d’autres », raconte Claude.
La résistance citoyenne s’organise. Dans les kermesses des écoles, on parle d’énergie nucléaire, on prospecte contre l’installation de l’Andra, etc. Les soirées d’informations se multiplient mais l’ambiance est, à cette époque, encore bon enfant car rien n’est encore fait. Les militants peuvent aussi compter sur le soutien de la chef de file des Verts, Dominique Voynet. « Elle est venue manifester, elle se couchait sur les routes avec nous pour empêcher les camions d’avancer », raconte Claude. Alors, quand elle devient ministre de l’environnement, l’espoir revient. Mais en 1998, c’est pourtant Dominique Voynet qui signe le décret d’implantation de l’Andra, sur le site de Bure. « C’était une terrible trahison. Elle nous a dit qu’elle était obligée de le faire, que c’était la seule solution. Le même discours que nous sert Nicolas Hulot, qui lui aussi était à nos côtés avant de devenir ministre », tonne Claude. Contactée, Dominique Voynet n’a pas souhaité répondre à nos questions.
Dominique Voynet en 2013, ancienne maire EELV de Montreuil, en Seine-Saint-Denis, a livré un témoignage surprenant sur les raisons qui l'ont amenée à ne pas se représenter aux prochaines municipales.
La solution? Faire venir 10 000 manifestants dans le département
En 2001, Claude devient maire de Ménil-la-Horgne et décide de rencontrer le premier ministre de l’époque, Lionel Jospin. Il comptait bien faire entendre sa voix et s’est rendu directement à son cabinet parisien. « J’étais plein d’espoir », se souvient-il. Là-bas, il est reçu par une assistante de Lionel Jospin. Ce qui ressortira de cette conversation reste encore gravé dans sa mémoire. L’assistante lui explique que le premier ministre, même s’il est contre ce projet, ne peut rien faire. La décision se joue au-dessus. Il n’a d’autres choix que d’accepter. La seule solution ? Faire venir 10 000 manifestants dans la Meuse. « Comment voulez-vous qu’on mobilise autant de personnes dans un département qui ne compte que 6 à 7 habitant au km² ?», lui rétorque alors Claude. « C’est bien pour ça que ça va se faire en Meuse », répond l’assistante. Claude est abasourdi : « À ce moment-là, j’ai compris qu’on serait seuls à se battre. » L’impuissance du premier ministre n’atteint pourtant pas la détermination de l’élu local. Quitte à entacher sa réputation. Un à un, les maires et élus locaux baissent les bras. Ils commencent à se faire une raison et surtout, cèdent aux pressions financières. Ils croient aux promesses d’embauches de l’Andra, bienvenues dans un département fortement touché par le chômage (14,2% en 2015).
"Nous sommes méprisés"
« Ceux qui s’opposent sont vus comme des farfelus qui veulent empêcher le progrès, etc. Nous sommes moqués, méprisés », déplore Claude qui subit des pressions comme d’autres personnes impliquées de près ou de loin dans la lutte anti-Cigéo. Écoutés, surveillés, contrôlés, les opposants ne sont plus surpris de constater la présence des gendarmes lors de rencontres ou de soirées qui étaient censées rester privées. « L’Andra agit comme un petit JR local. Ses agents vont faire des parties de golf ou invitent au restaurant les élus locaux. C’est la manière douce avant la manière forte », raconte Claude. En 20 ans, l’élu local a vu l’Andra faire son petit bonhomme de chemin sur le territoire tout en essayant d’obtenir l’approbation de la population. En 2005 et 2013, l’agence propose des débats autour du projet Cigéo, « faussement démocratiques » pour Claude. « Avant de commencer, les agents nous ont prévenu que ce qui allait se dire n’aurait aucune influence ni sur la décision, ni sur le calendrier. En gros, on nous a demandé de venir pour choisir la peinture du bâtiment ! » lance amèrement Claude. Les opposants n’ont pas dit leur dernier mot. Militants et élus, dont Claude, face à « cette mascarade », décident alors de perturber les débats de 2005 et de 2013. Il n’y a plus de kermesses. La fête est finie. Alors que le projet Cigéo arrive bientôt à son terme, l’opposition se faire plus vigoureuse. Lors de la manifestation du 3 mars, Claude était là pour encourager la lutte, ému de voir des personnes venues de toute la France gonfler les rangs des opposants dans le petit village de Bure. « Le salut ne viendra pas des politiciens. Seule la mobilisation citoyenne peut nous sauver », soutient Claude.
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